Archive for the ‘IRL’ Category

En un combat crédible…

dimanche, mai 18th, 2008

Voilà, ils sont deux, ce sont les gentils. L’un est un vampire homosexuel et désabusé, commissionné par le Vatican, l’autre un ancien champion de capoeira idéaliste envoyé par un dieu vaudou autant que vindicatif. Les méchants en face, ce sont les nazis et il y’en a une petite quinzaine, et bien sûr ils sont armés jusqu’aux dents, prêts à bondir.

 

            Rien à signaler jusque-là. Tout est normal, classique presque.

 

            Mes gentils ont un handicap, ils sont obligés de se battre attachés l’un à l’autre par une cravate de soie bordeaux à pois jaunes. Les autres sont seulement sidérés – je me mets à leur place : la cravate est vraiment, franchement, ignoble.

 

            N’empêche que les gentils doivent gagner et que malgré tout, jamais personne n’a remporté la victoire en faisant vomir ses adversaires avec une arme non conventionnelle issue du cerveau malade des designers de l’industrie textile. Ça se saurait. J’ai beau écrire de la sff, il y a des bornes aux limites que j’aie le droit de franchir, avec ou sans carte de séjour. Cela dit, si j’étais le préfet je me reconduirais à la frontière manu militari.

 

            Bref, là, mes gentils viennent d’en éliminer deux d’un coup, y’en a trois qui leur sautent dessus qui ne vont pas faire long feu, il m’en reste dix à trucider. Alors…

 

            Alors, j’ai piqué le Batman  et un Pirate des Caraïbes dans les tiroirs de mon gremlin ainsi qu’une poignée de schtroumpfs et je les ai collés, là contre mon clavier. Le gremlin, lui,  vient de débarquer pour le petit dej et depuis le canapé, il me regarde sereinement lier le Batman au pirate à l’aide d’un lacet rouge subtilisé à ses baskets. La bataille acharnée et virevoltante de Batman et Jack Sparrow contre les schtroumpfs ne lui arrache pas un froncement de sourcil, il ne s’agace que lorsque le premier combat terminé, je recommence aussi sec :

 

              Pourquoi tu t’embêtes, Maman ? Batman gagne toujours…

 

            Je me le demande aussi parfois.

Je croise mon squelette

samedi, avril 19th, 2008

je croise mon squelette
qu’une faveur de fourmis manians porte à sa demeure
(tronc de baobab ou contrefort de fromager)
il va sans dire que j’ai eu soin de ma parole
elle s’est blottie au coeur d’un nid de lianes
noyau ardent d’un hérison végétal
c’est que je l’ai instruite depuis longtemps
à jouer avec le feu entre les feux
et à porter l’ultime goutte d’eau sauvée
à une quelconque des lointaines ramifications du soleil
soleil sommeil
quand j’entendrai les premières caravanes de la sève
passer
peinant vers les printemps
être dispos encore

vers un retard d’îles éteintes et d’assoupis volcans.

Aimé Césaire, point final.

confinement pour risques majeurs

lundi, avril 14th, 2008

Le professeur de latin interrompt le film en demandant :

            — Dites-moi en quoi cette scène extraite du film  Jules César relève de la haute fantaisie hollywoodienne?

            Un grand jeune homme l’air timide lève le doigt et répond :

            — Ils sont tous debout le verre à la main autour du buffet, on dirait l’anniv’ de mariage de mes parents …

            Un autre interrompt :

            — C’est peut-être la casio au poignet de Jules, Madame ?

            Il y a un temps d’arrêt, personne n’avait remarqué ce détail et le professeur s’apprête à demander doucement à l’impétrant s’il a bien connu César pour se permettre de l’appeler par son petit nom. Mais une sirène stridente interrompt tout cela tandis que la voix du Principal du collège, tel l’ange embouchant la première trompette, glace l’assistance :

            — Confinement pour risque majeur. Les professeurs et leurs classes doivent regagner au plus vite leur base prévue.

            Les élèves aguerris se contentent de saisir le manteau et se rangent bien en rang, deux par deux. Ce qui prouve bien que c’est faisable nonobstant  leurs protestations véhémentes passées lors des fins de récréation. Le professeur prend la tête du cortège après ce bref avertissement :

            — Restez en rang, ne courez pas. Si l’air est contaminé, vous respirerez beaucoup plus de cette saleté que si vous marchiez tranquillement.

            Le matheux du groupe prend l’air songeur, le professeur l’entend presque effectuer les calculs sous son scalp embroussaillé, mais elle ne lui laisse pas le temps de se lancer dans la contestation probabiliste :

            — On y va.

          

           La salle F est en vue. Deux classes y sont déjà installées dans le plus grand désordre. Le professeur de latin réprime à grand-peine l’envie de claquer la porte DEVANT elle. Mais on ne se refait pas quand on est né responsable, elle respire un grand coup – tant pis pour les vapeurs toxiques – et rentre.

            Ça cause haut et fort, la cantine de secours n’est pas ouverte, l’appel n’est pas fait. Le prof de latin inspire à nouveau pour aboyer :

            — 4°A, contre le mur du tableau, 4°B sous les hublots, 4°C, le mur mitoyen.

            Ce sont les parois les plus éloignées ou dépourvues de fenêtres. Pendant ce temps, elle clôt les stores avec deux de ses collègues tandis que le professeur de musique se saisit du talkie-walkie dans la cantine et annonce très pro :

            — Salle F, effectifs complets, terminé.

            Ça dure deux heures. Tous les quarts d’heure, la voix de l’Ange Protecteur grésille sur le talkie et exige le point sur les effectifs, les blessés potentiels, les ressources à disposition. Les élèves vautrés par terre en profitent pour se faire des papouilles sous les tables, plus ou moins discrètement, ou discutent sotto voce, voire les deux. Le professeur de latin respire mal, déteste tout et tout le monde et rêve de se jeter par la fenêtre.

            Tout se passe donc bien jusqu’à ce que l’extraterrestre de service intervienne :

            — Madame ?

            — Oui, répond le professeur de latin avec lassitude

             Elle ne connaît pas cet élève, mais sent une tension soudaine dans l’assistance et se prépare donc au pire.

            — Si c’est la centrale nucléaire qui pète de toute façon, le talkie-walkie ne fonctionnera pas, c’est stupide.

            Sourire torve du petit malin.

            Le silence tombe sur la salle, les latinistes ricanent, l’extraterrestre non plus ne connaît pas le professeur de latin.

            — Tu penses à l’effet électromagnétique à la suite de l’explosion ? Selon toi ça fusillerait toute l’électronique c’est ça ?

            L’extraterrestre est un peu soufflé, c’est le cas de le dire, il pensait seulement mettre le prof en difficulté. Au lieu de ça, elle rétorque sérieusement :

            — Je ne sais pas si Tchernobyl a eu cet effet-là, je ne crois pas. Cela dit, les risques majeurs comportent d’autres possibilités que le danger nucléaire, à ce moment-là les talkies-walkies resteront de première utilité.

            À ce stade de la conversation, le ton a radicalement changé : les deux interlocuteurs commencent à s’échauffer, ils ne s’opposent plus : ils créent un monde à eux deux. Leurs mains volent devant eux pour appuyer leur point de vue, soutenir celui de l’autre. Et ils continuent gaiement tous les deux à deviser de fin du monde et de post-apocalypse, énumérant les risques auxquels on peut s’attendre compte tenu de l’environnement technologique de la région, son potentiel sismique, une ou deux guerres conventionnelles ou pas, leurs conséquences, ce qui pourrait servir ou non, les résultats au niveau santé. Bref, ils ne s’ennuient pas une minute sur fond de cataclysme planétaire.

            Autour d’eux en revanche, l’atmosphère s’est assombrie, on ne discute plus on murmure et la consternation accompagne la conversation passionnée et terrifiante des deux malades mentaux.

            Fin d’alerte, le talkie-walkie grésille une dernière fois.

            L’extraterrestre prend congé du professeur de latin avec un joyeux :

            — Au prochain confinement, Madame.

            — Avec plaisir, répond-elle souriante.

            Et c’est sincère :

 si elle n’est pas confinée avec l’extraterrestre au prochain exercice, le professeur sait qu’elle restera dehors, cette fois.